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F comme Fonds de l'Assistance


Les jours sans travail, sans commande, je file aux Archives et je dépouille des fonds au hasard. Bien entendu, il m'est déjà arrivé de rechercher des informations relatives à des enfants de l'Assistance, mais je n'ai pas eu l'occasion de faire ce genre de recherche dans le Loir-et-Cher.


Dans les fonds de l'Assistance, le choix - quand il n'est pas orienté – est large pour faire des recherches. Ce qui m'intéressait, c'était une fiche nominative, peu importe laquelle, pour m'imprégner un peu de la vie de ces jeunes assistés et orphelins.


Mon choix s'est donc porté sur la sous-série 3X, et plus particulièrement sur le registre coté 3 X 230 : « registre matricule des orphelins pauvres admis à la charge du département de Loir-et-Cher. Numéro matricule 2312 à 2494 » (1882-1885).


Ce registre est très complet : il comporte tout d'abord une première page avec l'identité de l'enfant et une multitude de dates (naissance, baptême, vaccination, première communion, autorisation préfectorale, remise à des ascendants ou des bienfaiteurs, numéro d'ordre du registre de tutelle (registre n°3), et, le cas échéant, date du décès).

Cette première page comporte également l'acte mortuaire des parents lorsqu'ils sont connus.

Les pages suivantes donnent des indications sur les différents placements de l'enfant : dates, nom, prénoms et profession des nourrices ou des patrons, l'adresse et la date de rentrée à l'hospice.

Il existe aussi une case d' « observations » qui peut donner des renseignements très particuliers.

Ainsi, la petite Louise GENDRIER était atteinte de la teigne. Ce n'était pas chose rare chez les enfants de l'Assistance.


Dans d'autres tableaux étaient répertoriés les vêtements que l'on avait fourni à l'enfant ainsi que leur valeur, mais également toutes les dépenses qu'il avait engendrées.


L'une des pages les plus importantes est probablement la dernière, car c'est elle qui nous permet de suivre la trace des enfants issus de l'Assistance. Non seulement, elle nous indique où et chez qui ils ont vécu les premières années de leur vie (jusqu'à douze ans), mais elle renvoie également au registre des tutelles, avec le numéro matricule de l'enfant.

Le but de cet article n'est pas d'expliquer la procédure pour retrouver un enfant de l'Assistance, mais plutôt de partir de ces données de base pour tenter de retranscrire ce qu'a été la vie de l'un de ces orphelins.


C'est le cas de la petite Marguerite BAUER qui a attiré mon attention. Un nom à consonance germanique, de même que celui de ses deux parents, bien que celui de sa mère ait été francisé. Et c'est précisément cela qui m'a tout d'abord interpellée dans ce dossier.

Dans le bulletin de décès reproduit sur cette page, il est inscrit que la mère se nommait BAUER Walbourg, dite PANER Valérie. Pourquoi cette femme se faisait-elle appeler Valérie PANER ?

Elle était originaire de Bavière, où elle était née vers 1854. Mais ce n'est qu'après la naissance de sa fille, en 1881, qu'elle utilisait ce nom d'emprunt.


En Allemand, BAUER signifie « paysan » ; ce n'était donc pas une francisation de son nom. D'ailleurs, le prénom Walburg, germanique, était rare et n'a pas d'équivalent en français. Cependant, Valérie peut se rapprocher phonétiquement du prénom Walburg (Le « W » en Allemand, se prononce « V »).

Quant au patronyme PANER, il était originairement porté en Autriche, Slovaquie et Hongrie mais s'est ensuite largement répandu en France.


Tout ce que l'on sait de cette femme, c'est qu'elle était d'origine germanique. Elle était née vers 1854 à Munich et exerçait la profession de lingère. En 1882, elle habitait à Paris, dans le IXème arrondissement, au n°32 rue bergère. Elle est décédée à l'hôpital Lariboisière à Paris X, le 24 juin 1882 où elle avait été admise le 25 mai. Elle n'avait que 28 ans quand elle a succombé à la fièvre typhoïde.

Registre des déclarations des décès de l'hôpital de Lariboisière pour l'année 1882 (LRB/3/Q/2/38)

Les registres d’inhumation de la ville de Paris nous apprennent qu'elle a été enterrée au Cimetière parisien de Saint-Ouen (93) le 26 juin 1882, dans une tranchée gratuite de la 20ème division.

Le père de Marguerite BAUER, Émile WILLY, était vivant lorsque la fillette est entrée à l'hospice. L'acte de décès de son épouse Walburg, alias Valérie, ne nous apprend rien à son sujet si ce n'est qu'elle l'avait épousé après la naissance de Marguerite.



Le temps imparti à la publication des articles pendant le challenge étant limité, je n'ai pas eu le temps de rechercher le père ni les raisons qui ont fait que Marguerite s'est retrouvée à l'hospice. De même, le changement de nom de sa mère devra faire l'objet d'une autre étude. Je me suis contentée, ici, de suivre les premières années de vie de cette fillette envoyée en nourrice dans le Loir-et-Cher où elle est arrivée au début de l'année 1883.

A cette époque, les petits assistés de Paris envoyés à la campagne étaient transportés par convois ferroviaires.


Intéressons-nous à cette jeune Marguerite.


L'orpheline Marguerite BAUER

Marguerite BAUER est née le 11 juin 1881 et a été baptisée le lendemain. Dans son acte de naissance ne figure pas le nom de son père. Celui-ci ne l'a jamais reconnue.

Acte de naissance de Marguerite BAUER

« L'an mil huit cent quatre-vingt un le douze juin à une heure un quart du soir, acte de naissance de Marguerite, du sexe féminin, née le onze juin courant à neuf heures du matin rue Jacob n°47, fille de Walbourga BAUER, âgée de vingt-neuf ans, lingère, demeurant à Paris, Boulevard des capucines n°12, et de père non dénommé. Dressé par nous, Jules David Valabregue, adjoint au maire, officier de l'état-civil du sixième arrondissement de Pris, sur la présentation de l'enfant et la déclaration faite par Émile Simon, quarante-neuf ans, employé, demeurant à Paris, rue Jacob n°47, au domicile duquel a eu lieu l'accouchement. En présence de Jacques Ressouches, âgé de cinquante-sept ns, et de Nicolas Baron, âgé de soixante-trois ans, employés, demeurant même maison, témoins, qui ont signé avec le déclarant et nous adjoint près lecture.

Signé : Simon, Ressouche, Baron et Jules Valabregue »


Le n°47 rue Jacob est l'adresse de l'hôpital de la Charité, à Paris. C'est là que sa mère a accouché. On peut donc imaginer qu'elle était d'origine modeste – elle était d'ailleurs lingère.

L'Hôpital de la Charité. Photographie de Jean Eugène Auguste Atget dit Eugène Atget (1857-1927), musée du Carnavalet, Paris.

Toutefois, elle devait avoir une place au Grand-Hôtel puisqu'elle demeurait au n°12 Boulevard des capucines, le bâtiment y ayant été construit près de vingt ans auparavant.

Le Grand-Hôtel (@Ville de Paris / BHVP / Roger-Viollet )

C'est au début de l'année 1883 que Marguerite fit le trajet jusque dans le Loir-et-Cher. D'après sa fiche d’admission à l'hospice de Blois, Marguerite n'était pas en bonne santé à son arrivée. Elle n'était toutefois pas contagieuse et fut placée dans une famille de cultivateurs au hameau de l'Artouillat, à Fougères (41) le 9 février 1883. Le couple qui l'accueillit - les MORIN - s'occupa bien d'elle. C'est ce que l'on constate d'après les appréciations de suivi de placement de l'enfant. A peine deux mois après son arrivée la famille déménagea à Blois et Marguerite l'y suivit. Pourtant, bien que son placement donna toute satisfaction, Marguerite fut rendue à l'hospice le 19 mai.


Le 12 juillet, c'est un couple de sabotiers de Bracieux qui l'accueillit. Gabriel Paul BODIN et Julie Octavie BOUCHER portaient encore le deuil de leur fillette Octavie, décédée le 2 juin précédent. Ils habitaient dans le centre bourg avec leurs deux enfants, Raoul, neuf ans, et Gabrielle, 6 ans.


On peut penser que Marguerite fut très bien intégrée au sein de cette famille. Les rapports de l'inspection étaient tous très positifs. En 1887, on pouvait lire dans le registre que « les divers renseignements de l'année [étaient] unanimement bons » ; en 1888 : « toujours on ne peut mieux sous tous les rapports ».

Marguerite reçut donc certainement beaucoup d'attention et sa santé s’améliora au fil du temps. On la disait intelligente et gentille.


Le 3 juin 1888, la famille BODIN était une fois de plus en deuil. Raoul, le fils aîné, mourut alors qu'il n'était âgé que de seize ans.


En 1889, la santé de Marguerite commença à se dégrader. L’année d'après, et bien qu'elle fut correctement soignée, son état sanitaire finit par inquiéter. Aussi, l'hospice la reprit au mois de mai 1891. C'est cette année-là que le diagnostic tomba : le médecin de l'Hôtel Dieu détecta chez elle des scrofules (2) et, sur sa recommandation, elle fut envoyée en Bretagne, à l'hôpital maritime de Pen Bron, situé à La Turballe (44), le 9 septembre 1891.


Ce dernier avait ouvert ses portes quatre ans auparavant, sur l'instigation d'Hippolyte Pallu (1833-1921), inspecteur des enfants assistés. L'hôpital, une association, s'était développé grâce à la générosité de donateurs. Il avait pour but d'accueillir les enfants de familles démunies atteints de tuberculose osseuse ou de rachitisme.


De sa vie à Pen Bron, nous ne savons presque rien. Mais un émouvant écrit de Pierre Loti dans son Livre de la pitié et de la mort, relate que : « les petits malades nouveau-venus, qui ne [pouvaient] pas encore sortir, au lieu de regarder de grands murs gris, comme dans les hôpitaux ordinaires, s'amus[ai]ent, de leur place à voir les bateaux passer et [recevaient] jusque dans leur couchette le grand air vivifiant du large »(1).

Marguerite succomba le 12 juillet 1892 des suites du tétanos. Sa tombe est peut-être encore dans le petit cimetière situé dans la dune, près du sanatorium où les religieuses enterrées avec les pensionnaires veillent encore sur eux...

© Ouest-Eclair, 3 janvier 1931.

(1) Selon le dictionnaire médical de l'Académie de médecine (version 2023) : Lésion cutanée, voire muqueuse, chronique, suintante, d’étiologie imprécise. Ce terme s’apliquait autrefois à des lésions multiples, d’origine infectieuse, probablement staphylococciques, impétiginisées, ou à des gommes tuberculeuses. Leur caractère chronique et répétitif caractérisait un état de prédisposition, la scrofulose .

(2) Pierre Loti, le livre de la pitié et de la mort (1891), page 167.





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