Bien qu'il ne soit pas toujours connu de nos jours, le livre de raison (du latin liber rationis ou liber rationum, c’est-à-dire « livre de comptes ») était d'un usage répandu aux XVIème et XVIIème siècles.
Il s'agissait d'un registre de comptabilité domestique mais qui comportait la plupart du temps également de nombreuses annotations concernant tout ce qui pouvait toucher l'intérêt de son propriétaire. Principalement destiné à ses héritiers, le chef de famille y consignait régulièrement des événement à caractère familial ou local, ce qui permet de nous plonger avec un peu plus de facilité dans le quotidien de ces familles.
Il n'était pas rare de pouvoir lire dans ces pages la narration d'un voyage, d'une naissance, ou encore un rapport des maladies, des recettes médicinales, etc. Y figurait aussi des éléments plus prosaïques comme dans ce livre de raison tenu par François II Valesque (source : Archives départementales du Rhône, cote 280 J 120).
« Le 31 août 1782
Notes des habits rangés dans les divers tiroirs de l'armoire, garde-habits, à commencer par le haut d'icelle
Dans le 1er tiroir
un justaucorps camelot gris
une veste indienne brodée à (sa) bordure en soie et or
une vieille veste de fabrique pour [?]
une petite veste toile batiste
deux vestes bazin blanc
une culotte noire en soie
une culotte noire en laine [?]
... »
Les inventaires avaient régulièrement leur place dans ces carnets. Charles BONAPARTE, le père de Napoléon, effectuait lui-même des inventaires qu'il transcrivait dans son livre de raison. Commencé en 1780, et écrit tantôt en italien, tantôt en français, il y consignait principalement des éléments comptables, mais on y trouve également un arbre généalogique, la relation de l'engagement d'un pépiniériste et même un sonnet écrit à l'occasion de noces
« 1780, mardi 19 septembre. Moi, Charles de Bonaparte quondam Giuseppe (c'est ainsi qu'il déclinait son identité), j'ai commencé ce livre pour écrire tout ce qu'il arrive quotidiennement dans les affaires domestiques, et je prie mes fils et les héritiers de ma maison de suivre l'entière méthode (?), parce qu'elle est une chose très utile, et pour le temps présent, et pour le temps à venir.
Le 19 septembre, j'ai pris pour jardinier à la saline Allesandro Baccini, du pays de Girollo à Donana avec sa femme avec l'accord de faire le jardin à moitié ?? (a mezzo) selon la coutume de cette ville. »
Les mémoires étaient notés aussi bien en italien qu'en français.
« La nuit du 20 octobre à vingt-deux heures [a mezzo? 1780], la demoiselle Letizia, mon épouse, est accouchée d'une fille que nous avons appelée Paoletta, à savoir Paula [...] le parrain a été mon oncle l'archidiacre.
Giuseppe mon fils, qui est au collège à Autin en France est né en Corse le 7 janvier 1768.
Napoleone mon fils , qui est en France au collège militaire, est né à Ajaccio le 14 août 1769.
Luciano mon fils est né à Ajaccio le 21 mai 1775, baptisé le 4 septembre 1776. Le parrain a été mon oncle l'archidiacre. »
On le comprendra, ces livres de raison étaient de véritables mines d'or. Alors si vous avez la chance d'en trouver un, n'hésitez pas à ouvrir ses pages.
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