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L'inventaire après décès d'une pauvre femme



Mon ancêtre Catherine CORDIER est née en l'an mille six cent quatre-vingt quatorze, « huit jours avant la Toussaint ». Son père, Louis CORDIER, était bordager ; sa mère se nommait Catherine PIPON.

Les CORDIER étaient originaires de la paroisse de Bellou-le-Trichard, une petite commune ornaise située à environ un kilomètre du département de la Sarthe.


Fille cadette d'une famille de neuf enfants, Catherine était aussi l'aînée des filles mais elle ne fut pas la première à se marier. Ce n'est qu'à l'âge de vingt-neuf ans qu'elle épousa Jullien BLOT dont le village de naissance me reste inconnu. Je sais qu'il est né aux alentours de 1693 dans l'Orne. Son acte de mariage le dit originaire de Saint-Germain-de-la-Coudre mais il n'y est pas né. De même que dans toutes les communes alentours, ornaises et sarthoises...


Acte de mariage de Jullien BLOT et de Catherine CORDIER, le 23 janvier 1723 à Bellou-le-Trichard

« Après les fiançailles et autres cérémonies ordonnées de l'église sans qu'il se soit trouvé aucune opposition de part ni d'autre comme il nous l'a été dûment certifié de la part du […] ci après par le Sieur Marce (?), l'un des curés de Saint-Germain-de-la-Coudre le vingt-trois de ce mois ont été épousés par nous vicaire de ce lieu (soussigné?) Jullien BLOT majeur de 30 ans fils de défunt Noël BLOT et de défunte Marie AVICE vivante sa femme dudit Saint-Germain-de-la-Coudre assisté de Louis DREUX son cousin et de René Mimbrai de la paroisse d'Avesnes d'une part

et Catherine CORDIER fille de Louis CORDIER et de Catherine PIPON sa femme de cette paroisse assistée de sesdits père et mère et de Jacques, Mathurin, et Étienne les PIPON ses oncles d'autre part et en présence de plusieurs autres parents et amis dont ceux qui ont su signer ont signé avec nous, ledit BLOT et ladite CORDIER ne savent signer ».


Jullien avait perdu ses deux parents, Noël BLOT et Marie AVICE avant son mariage en 1723. C'était lui aussi un fermier et, comme beaucoup de paysans à l'époque, il était illettré.


Catherine allait elle aussi perdre son père un mois après son union avec Jullien BLOT.


A la fin de cette année-là, elle donna naissance à une petite fille, Françoise. Leur premier garçon, Julien, naquit un an et demi plus tard. Le second, Julien Toussaint, ne vécut que quinze jours.

Quatre autres enfants virent le jour dans les années suivantes ; l'un d'eux, encore, périt âgé de trois ans. Cette mortalité infantile n'était pas un phénomène isolé, mais il était assurément favorisé par des conditions de vie modeste.


Catherine et sa famille habitaient au hameau de la Collinière, à Bellou-le-Trichard, qui est situé en bordure de forêt.

Carte de Cassini (source : geoportail)

J'imagine qu'elle tenait le foyer et s'occupait des enfants tout en aidant son mari aux travaux agricoles.


Le 15 avril 1743, Julien mourut à la ferme de la Collinière, à 50 ans. Il fut inhumé le lendemain dans le cimetière de Bellou. A la cérémonie assistèrent sa femme, son beau-frère François GOUHIER, ainsi que plusieurs parents et amis.


A quelques mois près, Jullien aurait peut-être pu assister au mariage de sa fille aînée, Françoise, avec Gilles VANNIER. Ce mariage est notable de par les témoins de l'époux, car certains d'entre eux sont d'un milieu bien supérieur à celui dans lequel évoluait la famille BLOT. On trouvait en effet parmi eux Messire Gilles de BRISARD, écuyer, Sieur de Melleray, le parrain de Gilles VANNIER, ainsi que Messire Louis de COTUSIER, écuyer, Sieur de Sainte-Jaime, ancien garde du roi et pensionnaire de sa Majesté. Un contrat de mariage avait été établi entre les époux devant notaire.

Acte de mariage de Gilles VANNIER et de Françoise BLOT à Bellou-le-Trichard le 2 juillet 1743

A la mort de Jullien, il est vraisemblable que ses terres aient été exploitées par ses enfants, en particulier l'aîné des fils, Julien.


En 1763, Étienne, le dernier et le cinquième fils, âgé de 30 ans, célébra son mariage avec Anne MASSOT. Si sa mère, âgée de 70 ans, n'était pas présente, sa sœur Françoise et son époux l'assistaient ainsi que son beau-frère François GOUHIER, et sa belle-famille. Le couple allait rapidement perdre ses deux filles. Leur fils aîné, Étienne, allait quant à lui vivre mais il deviendrait, orphelin de père en 1767, restant seul avec sa mère. Le fils de Catherine mourut de façon prématurée à 33 ans.


De ses cinq fils, Catherine en avait donc perdu deux en bas âge, et à 73 ans, elle devait de nouveau affronter un deuil familial.


A la fin de sa vie, peut-être même depuis la mort de Julien, Catherine CORDIER vivait à la charge de son fils aîné, Julien, et de sa belle-fille Julienne MAUGER. C'est à leur domicile de Gagné, à Saint-Germain-de-la-Coudre, qu'elle s'éteignit à l'âge honorable de 81 ans.

Acte d’inhumation de Catherine CORDIER dans le grand cimetière de Saint-Germain-de-la-Coudre le 10 août 1775 (source : Archives départementales de l'Orne)

A son décès, c'est Jullien qui s'occupa de toutes les démarches. Il hérita pour un tiers des maigres biens de sa mère avec son beau-frère Gilles VANNIER et Jean BOURGETEAU et son épouse Anne MASSOT par représentation d’Étienne BLOT, le neveu de Jullien.


L'inventaire des possessions de Catherine, établi après son décès, est éloquent quant à sa pauvreté :

« une table de bois de chêne enfoncée, une huche de bois de chêne avec un vieux b...aussi de bois de chêne, estimés ensemble à la somme de trois livres,

deux coffres de bois de poirier de peu de valeur, néanmoins fermant à clef, estimés ensemble à la somme de trois livres,

un vieux châlit à quatre quenouilles, trois morceaux de mauvaise toile peinte servant de rideaux, et une couverture de serge sur fil (?)*(1) blanche usée,

un lit et deux traversins de plume d'oie […] excepté un des traversins qui ne l'est que de toile avec deux petits oreillers aussi de plume d'oie faisant ensemble la somme totale de sept livres dix sous,

quatre draps de grosse toile propres restant de cinq mentionnés dans la reconnaissance ci-devant datée (2), l'autre ayant été employé à ensevelir ladite feue Catherine CORDIER, lesquels quatre draps ont été estimés à la somme […] de trois livres dix sols,

deux petites serviettes de toile commune, deux plats, deux assiettes, une écuelle, trois cuillères, le tout d'étain commun valant ensemble environ six livres, estimé à huit sols la livre, faisant au total la somme de quarante huit sols,

un rouet à fil de chanvre, une chaîne/chaise ? à b..., deux chevilles de fer avec un mauvais croc à fumier (40 sols),

plus une mauvaise poêle remplie de trous, un petit coffret presque pourri avec une marmite cassée, de fonte, estimés à six sols », etc.


Une autre partie de cet inventaire décrit les vêtements que portait une pauvre femme :

« dix coiffes de toile de brin, neuf coiffes de toile blanche tant grosse que fine, quatre cornettes, un mouchoir de toile blanche et deux autres petits mouchoirs de fil de coton, estimés ensemble à quarante-quatre sols,

un vieux corps baleiné à couverture de breluche (3) et manches de droguet gris, une mauvaise robe de serge* grise, un petit corset de serge*, une devantière (4) de toile et une autre devantière de serge aussi … grise avec un petit gilet de molleton blanc, le tout de très peu de valeur estimé à trois livres,

un cotillon(5) de rayé (?) brun, une devantière de breluche, un corset de rayé (?) gris avec les basques dudit corset, un corset de droguet plat gris (6 livres),

trois paires de bas de laine, un manchon, une paire de souliers sans boucle (10 sols),

six chemises de grosse toile aussi de très peu de valeur (30 sols) »

Sur ce maigre héritage, Jullien paya la somme de 66 livres (pour la morgue, etc.), pris sur les cinquante quatre livres reçues par Catherine CORDIER sur la vente d'une charrette et d'une fourche à François VANNIER.


Par ailleurs, de la succession furent également déduits la somme de douze livres pour les services d'enterrement (dont les services du sacriste), trente sols destinés au boulanger pour le pain béni fourni lors de la cérémonie mortuaire, et le remboursement à Jullien BLOT de la nourriture fournie lors du huitain de sa défunte mère.

Inventaire après décès de Catherine Cordier

(1) Ce terme revient systématiquement associé à celui de « serge » suivi d'une couleur, mais nous n'avons pas pu l'identifier.

(2) Catherine CORDIER avait préalablement établi une reconnaissance de ses biens du fait qu'elle habitait sous le toit de son fils.

(3) Sorte d'étoffe faite de fil et de laine.

(4) Sorte de tablier de femme.

(5) Jupon qui était porté surtout par les paysannes.


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