La première lettre que nous vous présentons est adressée à Mme Julien ROBILLARD. Elle a été écrite le 4 novembre 1939 par sa belle-sœur, Léocadie GILLES depuis Le Perreux-sur-Marne (94).
L'expéditrice est née Léocadie Marie Joseph ROBILLARD, dite Cadie. Elle voit le jour le 8 décembre 1888 dans la cité minière de Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais (62) au sein d'une famille de onze enfants. Ses parents, Fromentel François Joseph ROBILLARD et Marie Thérèse MOREL se sont mariés l'année précédente et ont donné naissance à un garçon mais celui-ci n'a vécu que deux mois. Cadie devient donc l'aînée de la famille. Comme bon nombre de Pas-de-Calaisiens, Fromentel passera la plus grosse partie de sa vie à travailler dans les mines de houille. Marie est ménagère. Au début des années 1900, ils sont tous deux cabaretiers à Lens, puis ils déménagent dans plusieurs villes (Calonne-Ricouart (62), Fontenay-sous-Bois (94)) pour finalement s'établir au Perreux-sur-Marne (94) où Marie reprend son métier de cabaretière et, ce que l'on sait moins, son activité de championne d'arbalète (source familiale).
Elle s'est éteinte le 20 novembre 1933. Fromentel ne s'est pas remarié et a continué sa vie au Perreux.
Au début de novembre 1939, à l'heure où elle écrit cette lettre, Léocadie a 51 ans. Mariée à un ancien mineur, Jean Baptiste GILLES, elle est la mère de deux garçons, Jean Baptiste et Kléber. Le couple a perdu son premier enfant, la petite Jeanne, à l'âge de quatre ans. Ils habitent eux aussi au Perreux, au n°198 avenue de Rosny. Il s'agit vraisemblablement d'immeubles car c'est également là que sont domiciliés son frère Julien et sa belle-sœur Marcelle, la destinataire de cette lettre.
Marcelle RAMEAU a épousé Julien ROBILLARD, l'un des frères de Léocadie, en 1930 au Perreux où elle est née. Marcelle est bien plus jeune que Léocadie ; elle a vingt ans de moins. Avec Julien, ils ont eu deux enfants nés avant la guerre, Jacques et Monique. Tous deux sont mentionnés dans la lettre.
Julien est né à Lens le 4 décembre 1905. Il est le dernier des cinq fils parmi sa fratrie. Mais à sa naissance, ses parents ont déjà perdu deux de ses frères encore à l'âge de nourrissons. Julien n'a donc plus que deux frères, mais il est également entouré par ses six sœurs.
Alors que Julien est âgé de treize ans, Henri, l'aîné, meurt pour la France le 27 août 1918 à Orrouy (60) des suites de ses blessures. Son autre frère Marcel, lui, a survécu à la guerre durant laquelle il s'est brillamment illustré en tant que canonnier. L'un et l'autre ont été décorés de la Croix de guerre.
Trop jeune pour être mobilisé lors de la première guerre, Julien a 34 ans en novembre 1939. Il est imprimeur. La guerre est déclarée à l'Allemagne depuis un mois mais la France n'a encore subi aucune attaque de l'Allemagne. C'est le début de ce que l'on appellera la "Drôle de guerre".
La mobilisation générale a été déclenchée le 2 septembre et tous les hommes valides ont rejoint leur régiment. Julien y est depuis le 12 septembre. De son domicile, Léocadie écrit à sa belle-sœur Marcelle. Celle-ci a fait le choix de partir avec ses enfants pour se mettre à l'abri et sans doute a-t- elle profité des autocars mis à disposition par la commune pour l'évacuation des Perreuxiens qui le désirent.
Léocadie écrit au centre d'accueil de Blois, dans le Loir-et-Cher (41), l'un des points de passage principaux où il est prévu que Marcelle passe.
Le contenu de la lettre
Léocadie a beaucoup de travail mais elle s'efforce de donner à sa belle-sœur des nouvelles de tous. D'abord de son fils Kléber à qui elle envoie souvent des colis. Il est en bonne santé et espère bientôt une permission afin de rentrer ; cela fait trois mois qu'elle ne l'a pas vu. Mais il ne restera pas car il est orienté sur Lorient (56). Là, il va pouvoir retrouver sa femme, Jeanine qu'il a épousé six mois plus tôt. Elle aussi est réfugiée.
Son père, Fromentel a été très malade. Ce doit être une force de la nature car Julien « a été étonné de le voir couché » (probablement lors d'une permission). L'homme a 78 ans mais une fois rétabli, il s'est remis à faire son bois. Il a reçu des correspondances de Julien mais Léocadie regrette de ne pas avoir reçu de nouvelles.
Sa sœur Léa s'occupe de sa nièce de cinq mois, depuis que sa mère, Marthe, a été hospitalisée pour un curetage. Il y a eu des complications, sa santé reste fragile. Par ailleurs, Denis, le père de la fillette n'est plus en mesure de travailler depuis trois semaines, épuisé par une bronchite chronique.
Son mari et son fils, Baptiste et Jean sont quant à eux contraints d'effectuer de longues heures de travail alors que la paye baisse compte tenu des prélèvements destinés à soutenir l'effort de guerre.
Léocadie demande aussi des nouvelles de sa nièce Monique, qui « a eu des clous » (nous n'avons pas trouvé d'explication...) et de son frère Jacques. Elle l'espère en bonne santé et se demande s'il va à l'école. Au Perreux, l'école n'a pas encore repris et le petit Pierre s'ennuie. Tout comme les réfugiés se languissent de chez eux : c'est ce que nous apprend la lettre. Marcelle et Jeanine en ont témoigné. Mais, ici comme là-bas, les interrogations sont nombreuses : que va-t-il se passer ? La guerre durera-t-elle longtemps ?
Au Perreux, il n'y a, semble-t-il, pas d'alerte en ce moment.
La lettre s'achève sur d'autres nouvelles. Trouver du travail est une préoccupation majeure de l'époque : Léocadie est contente de pouvoir annoncer que son beau-frère Élie, le mari de Jeanne en a trouvé, ainsi que Henri.
En conclusion, la lettre de Léocadie nous parle du quotidien et des préoccupations majeures d'une habitante du Perreux au début de la guerre. L'essentiel est le maintien des liens familiaux et l'échange de nouvelles par le biais des correspondances postales.
Par la suite...
Quelques recherches nous ont appris que Julien est fait prisonnier par les Allemands lors de leur entrée à Nantes le 19 juin 1940. Il va être interné au Stalag III A à Luckenwalde en Allemagne où il passera toute la période de la guerre. Il sera rapatrié le 22 juillet 1945 et démobilisé le 23 octobre (source familiale).
Avec Marcelle, ils ont eu une autre fille, Michèle.
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur la vie au Stalag III A, voici un lien vers le site « Prisonniers de guerre » : https://prisonniers-de-guerre.fr/les-camps-de-prisonniers-de-guerre-dans-le-reich-3eme-region/#
Quant à Léocadie, l'année 1943 a été terrible pour elle. Outre la situation difficile au Perreux occupée par les Allemands dès 1939 suite à la décision du maire de collaborer, son mari Baptiste décède le 2 septembre 1943. Un mois plus tard, c'est son père Fromentel qu'elle perd.
Le 26 août 1944, la ville du Perreux est libérée après cinq ans d'occupation par les Allemands.
N.B. Pour faciliter la compréhension de la lettre et de l'article, nous avons mis en bleu toutes les personnes citées dans le courrier dans l'arbre ci-dessous (cliquer dessus pour l'agrandir).
Par ailleurs, par souci de confidentialité, nous n'y faisons pas apparaître les descendants que nous avons pu retrouver.
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