Ce nouveau courrier est adressé par Marcel à sa mère, Madame ROBIN, de Gennevilliers. Le jeune homme vient de recevoir des nouvelles écrites deux jours auparavant depuis le Loir-et-Cher. Sa famille est en sécurité dans ce département loin des combats frontaliers.
La lettre de sa mère était certainement rassurante mais Marcel est inquiet. « Aujourd'hui, écrit-il, les événements ont changé ». Il a raison, nous sommes le 10 mai 1940 et Marcel vient d'apprendre que les Allemands ont envahi la Hollande, la Belgique et le Luxembourg au cours d'une attaque éclair.
Aussi Marcel encourage-t-il sa mère à la prudence car il sait que « ça va peut-être barder comme il se peut que ça se calme ». De son côté, écrit-il, il n'y a « rien à craindre pour le moment ». Lui et sa compagnie sont provisoirement stationnés dans un bois, à l'abri des combats.
Une phrase, dans ce courrier, reste énigmatique à nos yeux comme à ceux de sa famille : « Tu as marché pour rien pour Liliane et Paulette. » Nous savons qu'il parle de deux de ses sœurs cadettes. Paulette, onze ans, était avec sa mère durant l'exode. Quant à Liliane, âgée de 17 ans, elle a sans doute été évacuée de son côté.
Et puis Marcel reprend sa lettre selon des préoccupations naturelles à son âge : « Question football il devait y avoir la coupe dimanche, mais maintenant tintin. » En effet, la coupe de France de football a été suspendue à l'automne 1939. Pour autant, la Fédération Française de Football Association a souhaité maintenir un championnat durant la guerre. Débute alors, en octobre, la « coupe Charles-Simon », un championnat interrégional qui voit s'affronter les 21 clubs qui ont pu présenter des équipes dans la zone Nord et la zone Sud.
Marcel a écrit sa lettre le vendredi 10 mai. La finale a bien eu lieu le dimanche 5 mai 1940 au parc des Princes, avec une victoire de 2 à 1 pour le Racing Club de Paris contre l'Olympique de Marseille.
Après cette finale, Marcel attendait le match annoncé pour le dimanche suivant :
Il faut dire que Marcel est né en 1918, il n'a pas encore 22 ans. Si l'on peut s'étonner que le jeune homme se passionne encore pour le sport alors que la France est en guerre, rappelons-nous que le 10 mai marque la fin de la « Drôle de guerre », une période où les soldats français souffrent plus du désœuvrement que de blessures, du moins pour la plupart d'entre eux. Il est donc tout naturel que leurs centres d'intérêts restent légers, en particulier à cet âge-là. Et puis il est plus rassurant de s'inquiéter d'un match de football que de l'avenir.
Cet avenir, Marcel devait l'imaginer plus serein, lui qui est né après la victoire de 1918. Il a vu le jour à l'Hôpital de la Charité de Paris le 1er juillet 1918. Baptisé Marcel Henri par sa mère, Louise Eugénie Henriette RAYER, c'est d'abord son patronyme qu'il porte jusqu'à ce que Paul Fernand Louis Emmanuel ROBIN et elle le reconnaissent pour leur fils. Il est le premier d'une fratrie nombreuse.
Au début de leur mariage qui n'a lieu qu'en 1922, Paul et Louise habitent à Levallois-Perret. Ce n'est qua dans les années 30 que la famille s'installe définitivement à Gennevilliers. Mère de famille nombreuse, Louise reste au foyer pour s'occuper du ménage et des enfants. Quant à Paul, il possède une solide expérience dans la soudure autogène*. Autrefois, Louise était soudeuse elle aussi.
Jusqu'à l'âge de 14 ans, Marcel vit entouré de ses sœurs puisque son unique frère, Georges André Louis, est décédé en bas âge. Mais à partir de la naissance de Roger en 1932, Marcel aura quatre frères dont l'un décède jeune.
En 1936, après plusieurs déménagements, c'est au n°71bis rue du Pont de Saint-Denis qu'on trouve la famille. Marcel cherche du travail comme manœuvre. Ils ne sont pas mariés mais Simone Andrée BELSENS, d'un an plus jeune que lui, est déjà considérée comme la belle-fille de Paul et Louise qui l'hébergent avec sa fille Yolande.
En 1938, Marcel occupe un emploi dans la distribution électrique. C'est l'année de son incorporation. Il est affecté au 1er régiment d'infanterie coloniale à Paris. Le 7 janvier 1939, autorisé par le colonel commandant son régiment, il officialise son union avec Simone. Ses parents, sa famille sont là pour le mariage. Et, au rang des témoins, c'est sa tante Nénette, Juliette VIVIER, qui l'accompagne.
Le 2 septembre 1939, c'est la mobilisation générale. Marcel quitte Simone et Yolande et rentre à la caserne des Tourelles, à Paris.
Sa mère et ses plus jeunes frères et sœurs sont évacués peu après par la municipalité de Gennevilliers. Ils sont convoyés dans le Loir-et-Cher, destination de refuge prévue par les plans d'évacuation officiels. Et c'est dans le village de Prunay-Cassereau qu'ils sont hébergés. Ils y sont certainement restés peu de temps. C'est Roger lui-même, alors âgé de 8 ans, qui nous raconte qu'il y a eu plusieurs déplacements de la famille à cette époque-là. Nous supposons que, à l'instar de nombreux évacués, Louise et sa famille sont rapidement rentrés en constatant l'inertie de l'armée allemande pendant la « Drôle de guerre » Un nouveau départ a eu lieu plus tard, au mois de mai 1940...
*Note : Un soudure autogène est un assemblage de pièces métalliques ou plastiques de même nature ou compatibles entre elles, qui ne nécessite aucun apport de matériau extérieur chaud afin de faire la liaison entre elles.
La suite de cet article paraîtra dans quelques jours
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