C'est au hasard de mes errances littéraires dans un journal de la presse morbihannaise du XIXème siècle que j'ai découvert une histoire peu ordinaire, celle de Marie Françoise HELLEGOUARCH, une jeune paysanne normande. Cet article, je l'avais mis de côté il y a des années mais, en retombant dessus, j'ai soudain eu envie de m'y intéresser de plus près. Le voici :
Je n'ai, à mon grand dépit, malheureusement pas retranscrit la source à l'époque, mais il était daté du 18 juillet 1897.
Que l'on soit croyant, superstitieux ou bien septique n'a pas d'importance. Rien ne nous empêche d'ouvrir les yeux sur un destin peu commun. J'ai donc mené ma petite enquête sur cette jeune fille qui fit beaucoup parler d'elle.
Marie Françoise est née le 12 mai 1874 à Kerguer, un petit village de la commune d'Inzinzac-Lochrist, dans le Morbihan, d'un couple de cultivateurs, Joseph Marie HELLEGOUARCH et Marie Louise HELLEGOUARCH (sans parenté). Elle avait une sœur aînée et un frère cadet. La famille, très honorable, était très pieuse.
Les informations fournies dans les différentes publications de l'époque nous permettent de reconstituer fidèlement son habitat : une petite maison basse et couverte de chaume, l'une de ses fermes typiques de la campagne bretonne de l'époque. A l'intérieur, sur la droite, se trouvait une grande chambre éclairée par une seule fenêtre à quatre carreaux. Au milieu de la pièce trônait une grande table et, sur les côtés, plusieurs lits étaient alignés. Une grande cheminée faisait face à une encoignure où se trouvait le lit de la jeune fille, ceint de grands rideaux de coutil grisâtre. Au mur était accrochée une image de la Sainte Face.
Si d'aucuns la décrivirent comme illettrée, il apparaît que Françoise, comme on l'appelait communément, était allée à l'école assez longtemps et qu'elle était plutôt bonne élève1.
Enfant, elle se serait fait remarquer pour sa piété vive et sincère et, en 1891, elle entra comme postulante chez les Filles de Jésus à Kermaria. Cette même année, elle fut prise d'une fièvre typhoïde suivie d'une assez forte influenza qui la laissa paralysée, les genoux recroquevillées jusqu'à la poitrine.
Un pèlerinage à Sainte-Anne d'Auray lui aurait rendu une certaine liberté de mouvement avant qu'elle ne soit de nouveau rattrapée par une paralysie plus sévère cette fois qui la laissa sans pouvoir parler.
Toute sa vie elle conserva des séquelles liées à la fièvre typhoïde, en particulier d'un point de vue digestif.
Ce n'est qu'en 1895, les Jeudi et Vendredi Saints, qu'apparurent ses premiers stigmates – aux pieds, aux mains et au côté. Elle les cacha longtemps à tous, en particulier à ses parents qu'elle ne voulait pas inquiéter, s'entourant les pieds et les mains d'un mouchoir en prétextant se protéger du froid.
Dès lors, les stigmates apparurent tous les vendredis et chaque jour saint.
La nouvelle s'étant répandue, à partir de 1896 des centaines de personnes firent le déplacement depuis les villages alentours dans l'espoir de la voir. Elle fut examinée par plusieurs médecins et par plusieurs prêtres.
Elle fut parfois décrite comme une simulatrice ou encore comme hystérique. Certains des premiers médecins qui l'avaient vue dénoncèrent une supercherie en repérant des croûtes au creux de ses mains ; toutefois, il fut « prouvé » par la suite que c'est lors des périodes de crises que la jeune fille s'écorchait parfois la paume des mains, d'autres manifestations semblables étant apparues sans qu'aucune plaie ne fut visible sur ses membres. Le sang semblait sourdre des pores de sa peau.
L'histoire de la jeune « stigmatisée d'Inzinzac » - telle qu'on la décrivit dans la presse - et l'engouement qu'elle suscita fit couler beaucoup d'encre. Témoignages et photos furent controversés, en particulier les articles et le cliché que fit paraître Gaston MÉRY2 dans l’Écho du Merveilleux, revue qui publia plusieurs articles sur la jeune fille.
On s'accorda cependant à constater qu'il n'y avait ni cas d'alcoolisme ni cas de folie connus parmi ses ancêtres et que ses parents comme sa fratrie étaient tous en bonne santé.
Plus d'un an après, d'autres symptômes étranges apparurent : du sang sourdait de façon irrégulière de ses joues, puis apparurent des plaies en forme de croix sur sa poitrine. Plus tard encore, la « couronne d'épines » et le dessin d'un anneau à sa main droite, autant de signes présentés par les autres porteurs de stigmates.
Des crises spectaculaires sont décrites lors de ces manifestations. En voici un exemple :
Extrait du Courrier des campagnes publié le 28 novembre 1897
Devenue trop faible, elle était incapable de quitter son lit. Médecins comme journalistes écrivent qu'à cette époque et depuis la mi-novembre 1896, elle ne s'alimentait plus. Son estomac ne digérait plus et elle rendait toute nourriture ainsi que l'eau qu'elle buvait parfois lorsqu'elle avait trop soif. Pourtant, elle n'était pas trop amaigrie. Les médecins ne détectèrent chez elle aucune anomalie ; le cœur était sain et le pouls régulier. Cependant toutes les fonctions naturelles étaient suspendues.
A Pâques, elle put faire la Sainte communion et parvint à avaler et retenir une demie-hostie imbibée d'eau. Ce fut la seule et unique chose qu'elle mangea.
En septembre 1897, elle fit un pèlerinage à Lourdes. Mais ce séjour fut d'autant plus pénible que, par deux fois, la croyant morte, on laissa son corps seul dans une pièce éloignée de ses parents qui ne pouvaient la voir qu'accompagnés d'un médecin. Cependant, son séjour et les bains dans la piscine de Lourdes lui rendirent autant la parole qu'une assez bonne mobilité.
Deux mois plus tard, C.B., un officier de marine laïque, correspondant du journal Le courrier des campagnes, qui l'aurait rencontrée plusieurs fois à Inzinzac, la décrivit comme « une âme simple, aimée et estimée de tous ceux qui la connaissent ; douceur et résignation dans la souffrance ; piété réelle et profonde, sans exaltation ; aucun désir de paraître ; enfin, troubles physiques très sérieux ».
Marie Françoise HELLEGOUARCH s'éteignit finalement le 26 mai 1898. Elle fut inhumée deux jours plus tard. Là encore, le surnaturel transparaît dans la relation de l'épisode. Pour illustration, nous empruntons à Madame Charlotte ANDRE une citation qu'elle fait sur le site Généanet du journal écrit par le recteur ROUSSEL de la paroisse d'Inzinzac : « Elle a rendu son âme à Dieu, le mardi 24 mai 1898, vers 3h du matin, entre les bras de sa mère. Les membres se sont refroidis peu à peu, comme pour tout le monde. Mais au bout d'un certain temps, ils se sont réchauffés, ce qui a beaucoup surpris ses parents. Ensuite, cette chaleur a disparu, la fille avait cessé de vivre. L'inhumation a eu lieu le jeudi après-midi. Depuis sa mort, le temps était très orageux, malgré cela, aucune trace de décomposition : soixante heures s'étaient écoulées depuis sa mort. Une foule nombreuse assistait aux obsèques, bien que le temps fut défavorable. Il pleuvait à verse ».
Nous signalons que nous n'avons pas retrouvé la trace de ce journal mais d'autres écrits décrivent le même phénomène.
Pour conclure, c'est avec les mots du Docteur Georges SURBLED3, écrits en 1899, que nous terminons cet article : «On ne saurait vraiment déclarer surnaturel et miraculeux tout ce qui est nouveau et surprenant, tout ce qui dépasse l’esprit des ignorants et même celui des savants, sous peine de renoncer à la science, au progrès, à la plus élémentaire logique[...] ».
Libre à chacun de se faire sa propre opinion.
1 Source : Le courrier des campagnes du 28/11/1897, page ¾.
2 Essayiste, pamphlétaire et journaliste français particulièrement controversé et souvent poursuivi en justice, il fonda en 1897 la revue l’Écho du Merveilleux, sorte d'encyclopédie de l’ésotérisme.
3 Georges Surbled (1855-1914), médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel. Il écrivit dans plusieurs revues, parmi lesquelles La Revue du Monde Invisible (1998-1908) et La Science catholique, revue des questions sacrées et profanes (1886-1910).
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